Quand la beauté de la technologie et la force du message ouvrent la voie à une série d’articles d’analyse des exposants du Showroom technologique mutualisé du Playground Paris-Saclay. Des technologies au fil de l’histoire présente les innovations du Showroom dans une vision historique. Le retour aux grands noms, les notions clés et les étapes du développement scientifique y serviront à contextualiser ces innovations récentes, à les réinscrire dans un continuum d’idées révélant encore plus leur beauté et leur complexité. Cette approche saura souligner le lien entre la profondeur des sciences fondamentales nécessitant souvent des décennies de recherche académique et le pouvoir des sciences appliquées de répondre aux défis contemporains via une alliance avec le monde industriel.
Le point de vue historique de Natalia
Now, we see – ce motto percutant qu’affiche la start-up Abbelight nous transporte directement dans un monde invisible à l’œil nu, le monde de l’infiniment petit, grâce à la microscopie de super-résolution. Les nanoscopes créés et commercialisés par la start-up exposant dans le Showroom technologique mutualisé de Paris-Saclay ouvrent de nouvelles voies pour la recherche et l’industrie, mais il y a encore 20 ans il existait un obstacle infranchissable empêchant leur apparition. Technologiquement belle et complexe, mêlant la biologie, l’optique et la quantique, comment cette innovation a pu voir le jour ?
Voici une lecture de 5 minutes pour contextualiser cette innovation et déchiffrer l’enchevêtrement des savoirs qui la forgent.
I. Intrication scientifique
« Le temps de la recherche fondamentale n’est pas celui des industriels, encore moins celui des médias. Il joue à l’accordéon. Les chercheurs passent souvent plusieurs dizaines d’années à progresser pas à pas, presque miette par miette, quand soudain une découverte survient qui transforme en profondeur leur champ d’étude avec à la clé un nouveau décollage¹ ». Cette citation de Julien Bobroff s’applique dans tous les domaines scientifiques, mais on la trouve dans un chapitre de son livre consacré aux ordinateurs quantiques. Aussi étonnant que cela puisse paraître pour le public non spécialisé, la start-up en biomedtech Abbelight a été fondée notamment par une physicienne, dont la technologie se base sur une avancée de chimistes bravant la limite de la diffraction, une notion de la physique (quantique). Curieux mélange ! D’aucuns peuvent s’étonner de cette transversalité, de la saluer comme un marqueur du temps contemporain – car actuellement le mot est à la mode – mais le découpage du monde scientifique en filières est aussi un by-product de l’institutionnalisation progressive de la recherche et de l’enseignement². Il correspond aux enjeux et valeurs de chaque époque, tandis que l’organisation administrative des universités en résulte.
Si on plonge assez profondément, on s’aperçoit que toutes les sciences du monde occidental ont poussé sur le même tronc, celui de la philosophie grecque. En Europe c’est au cours du Moyen Age (XII-XIIIe siècles) qu’elles se sont divisées en quatre branches – le droit, la philosophie, la théologie, et puis la médecine et les arts3 qui ont donné les premières facultés (ancêtres de filières diplômantes) dans nos jeunes universités européennes. En parallèle, les universités du monde arabe, ne prenons en exemple que la plus ancienne université du monde toujours en activité, l’Université Al Quaraouiyine (fondation IXe siècle), développaient leurs universités et leurs savoirs qui ont fortement influencé les savants en Occident.
Les frontières des pays ainsi que celles des sciences sont donc poreuses. La science institutionnalisée se définissant principalement par l’objet de son étude, il s’agit d’une compartimentation des savoirs purement technique, car le but de la science fondamentale est toujours l’étude et la description du monde observable, lui, agissant/existant en systèmes. Dans le cas des applications complexes que l’on trouve dans le monde deeptech, définir clairement un domaine scientifique se révèle souvent réductionniste. Toujours est-il que classer et simplifier peut être utile pour créer des présentations rapides, mais tenir en tête que ce point peut être déroulé est nécessaire. En tout cas, nécessaire pour comprendre ce qui a été accompli par l’équipe d’Abbelight. En unissant la recherche en biologie et la physique optique, ils proposent une solution de microscopie super-résolution, une plateforme de bio-imagerie multimodale qui se compose comme suit : un module de super-résolution (lui-même composé d’un module d’excitation et d’un autre de détection) qui s’adapte sur tout type de microscope inversé, fonctionnant avec une baie optronique et un logiciel de gestion des données acquises (permet l’analyse et la superposition des images obtenues afin de créer la représentation complète de la structure étudiée). Enfin des kits de préparation d’échantillons complètent cette solution. Il s’agit donc d’une solution qui fonctionne en unissant les compétences techniques et scientifiques de domaines multiples (optique, physique, mécanique, biologie, informatique) et c’est l’un qui fait avancer l’autre pour profiter des avancées de la recherche, à plusieurs niveaux. Mais avant de parler des applications, examinons de plus près comment cela marche et pourquoi cette technique impressionne.
II. Que se cache-t-il derrière le nanoscope ?
En 2014, trois chercheurs reçoivent le prix Nobel de chimie pour le développement de la microscopie à fluorescence de très haute résolution, proposant deux techniques permettant de voir plus clairement le monde de l’infiniment petit également appelée le nanomonde. L’allemand Stefan W. Hell de l’Institut Max Plank développe une technique nommée microscopie à déplétion consistant à manipuler les atomes par les lasers afin de dépasser la limite de la diffraction, phénomène optique à cause duquel nous n’arrivions pas auparavant à obtenir des images très claires des structures à nanoéchelle. Les américains Eric Beitzig de Howard Huges Medical Institute et Wiliam E.Moerner de l’Université Stanford challengent le même problème – le dépassement de la limite de la diffraction. Chacun des chercheurs propose de manière indépendante une nouvelle approche, différente de celle de Hell : la microscopie à l’échelle unique (SMLM, Single Molecule Localization Microscopy).
Etudiant les structures, ils utilisent des fluorophores synthétiques qui peuvent s’activer et se désactiver dans un environnement chimique adéquat illuminant les détails de la structure étudiée.
Si cela vous paraît bien obscur, imaginez une guirlande de Noel dont les ampoules se posent, de manière aléatoire (mais dont les probabilités sont quantifiables), à des endroits d’une molécule, en illuminant point par point ou bien groupe par groupe les contours dessinant sa forme. La seule divergence avec le joli spectacle lumineux connu de toutes et tous réside dans le fait que la guirlande se programme facilement, tandis que la fluorescence des molécules – non. Pour rendre cette structure réellement visible, il faut « allumer les ampoules » de nombreuses fois, les prendre en photo des centaines voire des milliers de fois afin de pouvoir obtenir une image d’ensemble. Pourquoi tant de photos ? Parce que, comme nous venons de le dire, les ampoules s’allument plus au moins quand elles veulent, où elles veulent. Les différentes photos prises font apercevoir des morceaux différents de la structure, parfois un maillon de cette chaîne reste caché pendant les cent premières prises de vue. Le nombre est donc la seule garantie d’obtenir ensuite par la superposition des vues une image véridique de la nanostructure réelle. Et c’est dire comment allumer ces « ampoules » est difficile !
L’expertise des fondateurs et de la direction scientifique d’Abbelight leur a permis d’élaborer des outils optimisant les tâches de nanoscopie. Les kits de préparation d’échantillons conçus par Abbelight répondent aux exigences des protocoles de la microscopie à fluorescence STORM et facilitent le quotidien des chercheurs. Pour eux et elles, c’est tout le bénéfice d’être servis par leurs pairs, car Abbelight naît de l’initiative de Sandrine Lévêque-Fort, docteure en optique, directrice de recherche au CNRS (ISMO), son disciple, Nicolas Bourg, docteur en optique (ISMO), et Emmanuel Fort, professeur de ESPCI Paris (Chaire AXA imagerie biomédicale, membre de l’Institut Langevin). Rejoints par la suite par Jean-Baptiste Marie, docteur en physique de la matière condensée (Université Paris Cité ; HEC Challenge), les chercheurs répondent à l’appel à candidatures de la SATT Paris-Saclay pour bénéficier du programme Maturation. L’investissement et l’accompagnement de la SATT assurent le décollage de cette belle start-up deeptech. La création des nanoscopes, des kits de biologie, l’élaboration des logiciels…pour encadrer Abbelight dans la conquête du marché plusieurs talents de la SATT Paris-Saclay ont été sollicités.
Aujourd’hui et depuis déjà quelques années, la start-up fait la fierté de ceux et celles qui ont vu la jeune pousse grandir. Depuis janvier, nous sommes ravis de la mettre en lumière dans le Showroom technologique de Paris-Saclay en exposant son nanoscope et en présentant de nombreuses applications de la nanoscopie, bénéfique à la recherche et à la société. Juste de croire que l’utilisation de ces outils permet de faire avancer la recherche en neurobiologie et d’explorer la biologie des mécanismes neurodégénératifs (par exemple, l’étude de la maladie d’Alzheimer) ! La génétique, l’épigénétique, la biologie moléculaire, le traitement des cancers…nous pouvons nous lancer à bras-le-corps dans l’énumération, à l’échelle du traitement du patient ou à l’échelle de la science fondamentale, dans l’étude des cas ! Pour les explorer, nous vous invitons à réserver votre visite dans notre espace d’exposition ! Vous allez y voir une fois de plus que l’alliance fait force : le monde de la recherche où prospèrent les collaborations, l’écosystème Paris-Saclay permette de voir à quel point l’approche systémique est bénéfique dans les organismes aussi complexes que les sociétés humaines.
¹Julien Bobroff, La quantique autrement, p.201
²Gusdorf, Georges « II. Brève histoire de l’idée et de l’institution universitaires », L’université en question. sous la direction de Gusdorf Georges. Presses Universitaires de France, 2019, p. 13-74.
3Christophe CHARLES, Jacques VERGER, Histoires des universités, XIIe-XXIe siècle, « Les universités au Moyen Age, Les universités et la culture médiévale », PUF, p.31