Depuis 2016, une équipe de chercheurs français travaille sur CTAF, une nouvelle chaîne de traction électrique qui promet de transformer la mobilité lourde et la production d’énergie décarbonée. Grâce à une architecture innovante qui peut être basse tension, est modulaire et résiliente, CTAF vise à rendre les motorisations électriques plus puissantes, plus sûres et plus faciles à maintenir. Avec l’accompagnement et le financement en maturation de la SATT Paris-Saclay, le projet entre aujourd’hui dans une phase clé avec la mise en place d’un banc de test.

► Quelles limitations des motorisations électriques actuelles vous ont poussé à imaginer une nouvelle architecture de chaîne de traction ?

Adrien Voldoire :Le projet a commencé en 2016, à un moment où l’électrification de la mobilité commençait à s’accélérer. L’idée générale était de produire et de stocker de plus en plus d’énergie électrique pour les systèmes embarqués. Mais pour augmenter la puissance électrique dans un véhicule ou un avion, il fallait des batteries de plus en plus importantes, donc de haute tension. À l’époque, on parlait souvent de 800 volts.
Le problème est que ces hautes tensions posent plusieurs difficultés. Il y a bien sûr un enjeu de sécurité. Mais il y a aussi des problèmes techniques : par exemple, en altitude, la baisse de pression peut provoquer des décharges partielles. Ce sont des questions critiques, notamment pour l’aéronautique.
Pour répondre à cela, les co-auteurs du brevet, Emmanuel Hoang et Éric Labouré du laboratoire GeePs3, ont imaginé une chaîne d’entraînement basse tension, autour de 48 volts. C’est intéressant parce que cette tension est sécurisée pour l’utilisateur, on peut en théorie toucher le système sans danger. Mais ce n’est pas tout : cette architecture permet aussi d’obtenir une forte puissance, ce qui est un vrai avantage compétitif. Peu d’autres inventions peuvent le proposer.

Emmanuel Hoang : Il faut ajouter une précision sur les batteries et les sources d’énergie.
Quand on parle de batteries, le terme exact est accumulateur, et toutes les sources embarquées – batteries, piles à combustible ou supercondensateurs – sont des éléments électrochimiques à très basse tension, quelques volts seulement. Pour obtenir une tension continue haute, il faut mettre ces éléments en série.
Et là, se sont posés des problèmes physiques : les caractéristiques de chaque élément ne sont pas identiques, et cette dispersion crée de grandes difficultés techniques. Pour que tout fonctionne correctement, il faut des systèmes électroniques complexes, appelés BMS (Battery Management System). Ces systèmes sont coûteux, difficiles à mettre au point, et représentent un vrai défi scientifique et technique pour les systèmes embarqués.

A.V : Les limitations, donc, sont multiples. Quand on augmente la puissance électrique embarquée, il faut :
• augmenter la puissance massique (la quantité de puissance par unité de masse),
• assurer la résilience du système, notamment en aéronautique, où le court-circuit est critique.
Les systèmes triphasés classiques ne sont pas résilients : si l’on perd une phase, le système s’arrête. C’est à partir de ces constats que nous avons proposé le brevet CTAF, qui répond à ces limitations.

E.H : En 2016, il y avait aussi la question de la réparabilité. Sur un système classique, un défaut d’une phase stoppe tout. Comment maintenir un fonctionnement continu dans ces conditions ? CTAF répond à ce besoin, grâce à sa modularité. On peut continuer à fonctionner et réparer ou remplacer des modules défectueux. Les deux points clés sont donc : les limites physiques des éléments électrochimiques mis en série et la réparabilité globale du système.

► La résilience et la modularité distinguent-elles CTAF des solutions actuelles ?

A.V. : Oui, mais il y a encore d’autres éléments. Comme je l’ai dit, le système basse tension simplifie l’intégration des sources d’énergie. La modularité offre aussi de nouveaux degrés de liberté.
Pour préciser, CTAF repose sur un système de machines fractionnées avec électronique de puissance fractionnée. L’électronique de puissance est le seul élément que l’on peut commander électriquement dans un système électrique.
En la fractionnant, on a beaucoup plus de liberté pour piloter le système : chaque module a ses propres interrupteurs et variables de commande. Cela permet d’adopter des lois de commande plus avancées, d’augmenter les performances et de mieux gérer le flux d’énergie. En plus, CTAF peut interfacer différentes sources d’énergie – batteries, piles à combustible, supercondensateurs – même si elles ont des tensions ou des flux différents. On crée un nœud énergétique, où la machine joue le rôle de gestionnaire central pour harmoniser les flux et optimiser l’utilisation de chaque source.

E.H. : Pour ajouter un contexte historique, la machine électrique dans les systèmes classiques était soit au début de la chaîne pour produire de l’électricité, soit à la fin pour la propulsion. Grâce aux travaux de notre équipe et à la thèse d’Antoine Cizeron, maintenant chercheur au laboratoire Ampère4, nous avons montré qu’avec CTAF, il est possible d’intégrer la machine dans le système électrique, ce qui représente une source majeure d’innovation.